Par Jean-Christophe Trassard – Directeur des Affaires Publiques, Ecocem France
L’alerte lancée par les Nations Unies le 17 mars dernier, dans son rapport ONU Environnement, est sans équivoque : le secteur du bâtiment est loin de respecter les trajectoires nécessaires à la neutralité carbone. Pire encore, entre 2015 et 2023, ses émissions ont augmenté de 5,4 %, quand elles auraient dû baisser de près de 30 %. Nous sommes collectivement en échec. Et au cœur de cette impasse se trouve un matériau omniprésent, souvent invisible mais massivement carboné : le ciment.
Ce n’est plus un secret, le ciment représente près de 8 % des émissions mondiales de CO₂. Deux tiers de ces émissions viennent de la chimie même du procédé de fabrication du clinker, son composant principal, issu de la cuisson à très haute température du calcaire. Ce simple constat devrait suffire à faire du secteur cimentier une priorité stratégique des politiques climatiques. Ce n’est pas toujours le cas.
L’Agence Internationale de l’Énergie (IEA) estime qu’il est impératif de réduire les émissions du ciment de 3 % par an. C’est ambitieux, mais atteignable si, et seulement si, nous avons le courage collectif de remettre à plat nos modèles constructifs et nos politiques d’innovation.
Le secteur cimentier traditionnel compte principalement sur une unique solution : la capture et le stockage du carbone (CCUS). Cette technologie est, certes, intéressante pour abattre, à termes, le carbone résiduel une fois l’ensemble des leviers innovants et disponibles mis en œuvre. A ce jour la technologie CCUS reste coûteuse et complexe à déployer, et ne sera pas opérationnelle à l’échelle industrielle avant une ou deux décennies.
Le climat, lui, n’attendra pas 2040 ! Il exige des résultats dès maintenant.
Pourtant c’est cette technologie qui est en priorité plébiscitée et financée par la filière comme par les pouvoirs publics. Dans une tribune publiée en novembre 2024, Ecocem alertait déjà sur les limites de cette « préférence » donnée à la capture carbone.
Le Clean Industrial Deal (pacte pour une industrie propre) récemment publié par la Commission Européenne est une première avancée. Ce pacte reconnaît le rôle clé des technologies propres et ouvre la voie à un label carbone pour les matériaux de construction. Mais là encore, il reste trop silencieux sur les solutions concrètes et massifiables pour le secteur cimentier. La quasi-totalité des financements continuent d’être orientés vers des projets CCUS, alors que les technologies à faible teneur en clinker, pourtant immédiatement mobilisables, sont laissées de côté.
Il est temps de changer de paradigme et de ne pas s’enfermer dans une seule technologie. Il est temps d’aligner les politiques industrielles, les normes techniques et les financements publics sur les réalités technologiques d’aujourd’hui. Il est temps d’agir là où nous avons déjà les outils. Si nous voulons relever le défi carbone qui pèse sur notre industrie, nous devons déployer une gamme de solutions capables de réduire au plus tôt nos émissions et ne pas attendre la mise à disposition des technologies de capture du carbone.
La commande publique, qui représente environ 45 % du marché du béton en Europe, doit jouer un rôle fondamental. En intégrant des critères de teneur en carbone dans les appels d’offres, elle enverrait un signal fort au marché. L’Irlande montre déjà la voie avec une obligation de réduction de 30 % du taux de clinker dans le béton des projets publics. La France et l’Union Européenne doivent suivre cet exemple.
Chaque tonne de CO₂ évitée aujourd’hui compte plus qu’une tonne capturée dans vingt ans. Nous avons les moyens de transformer l’industrie cimentière. Nous avons les solutions, qui ont prouvé leur efficacité.
Ce qui manque, ce n’est pas la technologie. C’est la volonté de déployer. Maintenant.
La substitution du clinker par des additions minérales (SCM en anglais, pour Supplementray Cementitious Materials) — comme les laitiers, les pouzzolanes ou les argiles calcinées — permet de réduire jusqu’à 70 % l’empreinte carbone du ciment. Ces matériaux sont disponibles à grande échelle, en Europe comme ailleurs, et peuvent être intégrés sans surcoût majeur ni transformation lourde des chaînes de production. Un récent rapport McKinsey prévoit que l’adoption généralisée des SCM pourrait débloquer 8 à 10 milliards d’euros de valeur annuelle pour l’Europe d’ici 2035, aidant ainsi les producteurs de ciment à abattre significativement les émissions du ciment.
Des solutions rentables et une utilisation optimale de ces constituants sont essentielles pour réduire les émissions du béton et du ciment.
Chez Ecocem, nous avons développé la technologie ACT, une innovation majeure qui permet de fabriquer du ciment bas carbone en tirant le meilleur parti de ces composants, dont les matériaux alternatifs précités. Ce n’est pas une promesse à l’horizon 2050. C’est une solution concrète, industrialisable à grande échelle dès aujourd’hui, qui permet de construire durablement, sans aucun compromis sur la performance. Une première ligne de production dédiée à ACT sera disponible depuis Dunkerque dans quelques mois. C’est une bonne nouvelle. Mais nous devons aller plus loin, plus vite.
Ne détournons plus le regard. La transition vers le ciment et le béton bas carbone est non seulement possible mais elle est indispensable. Elle commence maintenant.
Donal O’Riain, fondateur et Directeur Général du Groupe Ecocem, répond à la publication du pacte pour une industrie propre, le Clean Industrial Deal, publié par la Commission européenne.
Donal O’Riain, fondateur et Directeur Général du groupe Ecocem, partage ses réflexions sur la Boussole pour la Compétitivité de l’Union Européenne dans son dernier blog.