07 Mar 25 | 5 min read

Le Clean Industrial Deal, le pacte pour une industrie propre : des avancées pour la décarbonation du ciment, mais davantage d’actions sont nécessaires.

Donal O'Riain
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Le Clean Industrial Deal, le pacte pour une industrie propre, est une excellente initiative et un jalon important du plan de compétitivité et de décarbonation pour l’industrie européenne. Il reconnaît à juste titre la Cleantech comme un acteur clé de cette transformation et nous nous inscrivons totalement dans l’ambition annoncée de maintenir l’Europe comme leader mondial des technologies industrielles propres.

Néanmoins, les propositions qui concernent le secteur cimentier ne positionnent pas notre industrie comme priorité stratégique. La production de ciment représente près de 8 % des émissions mondiales de CO₂, ce qui fait de ce secteur l’un des plus importants à décarboner. Si un tiers de ces émissions sont liées à la consommation d’énergie, deux tiers résultent de la réaction chimique provoquée lors de la cuisson du calcaire pour obtenir du clinker, principal ingrédient du ciment. Il existe actuellement des solutions propres massifiables permettant de réduire de moitié les émissions liées à la fabrication de ciment d’ici 2030. La priorité donnée par le Clean Industrial Deal pour une industrie propre aux industries fortes consommatrices d’énergie et aux Cleantech est une occasion unique à ne pas manquer.

Ce qui fonctionne : les avancées en matière de ciment bas carbone

Reconnaissance du ciment par le label carbone

  • Le pacte introduit un label carbone pour les produits industriels et positionne le ciment après l’acier, parmi les secteurs prioritaires. Une demande de normalisation sera déposée dans le cadre du Règlement des Produits de Construction (RPC) afin d’établir des critères d’intensité de CO₂. Ils permettront de différencier les ciments entre eux.
  • Ce système de label doit s’aligner avec le RPC et les efforts d’harmonisation en cours.
  • La méthodologie de labélisation retenue doit favoriser les pionniers de l’industrie et récompenser les solutions bas carbone à faible teneur en clinker. 

Engagements en faveur de l’économie circulaire

  • L’objectif de l’UE de devenir un leader mondial en matière de circularité d’ici 2030 représente une réelle opportunité pour les solutions de ciment à faible teneur en clinker.
  • Un accent plus important mis sur les matières premières secondaires peut aider à promouvoir les sous-produits industriels comme les laitiers d’aciérie et autres additions minérales (SCMs) telles que le verre, les pouzzolanes et les argiles calcinées dans la production de ciment.
  • La technologie ACT d’Ecocem peut optimiser l’utilisation des matières premières secondaires et les additions minérales (SCMs : supplementray cementitious materials) dans le ciment et permettre de réduire de 70 % l’empreinte carbone du ciment. Et ce, sans surcoût additionnel.

Création d’un nouveau marché grâce à la loi visant à accélérer la décarbonation de l’industrie – l’Industrial Decarbonisation Accelerator Act (2025)

  • Cette législation, prévue par le Clean Industrial Deal, introduira des critères de résilience et de durabilité. Si ceux-ci sont établis stratégiquement, ils pourront créer des marchés porteurs pour le ciment bas carbone.
  • L’introduction de critères non liés au prix dans les marchés publics favorisera la demande de technologies à teneur réduite en clinker.
  • En 2024, l’Irlande a imposé une obligation de substitution du clinker d’au moins 30 % pour l’ensemble des commandes publiques de béton (sachant que le clinker est responsable de plus de 90 % des émissions de CO2 du ciment). Avec cette approche, l’Irlande se place à l’avant-garde d’une politique publique simplifiée pour la décarbonation du ciment en Europe. D’autres pays pourraient s’en inspirer afin d’accélérer la transformation du secteur, sans coûts excessifs.

Ce qui fait défaut : les politiques encourageant l’innovation dans le secteur du ciment

Malgré ces démarches positives, le Clean Industrial Deal ne traite pas en profondeur les différentes méthodes possibles pour décarboner le ciment en dehors du CCUS (Capture, Stockage et Réutilisation du Carbone). Les propositions restent cloisonnées et privilégient davantage la capture des émissions plutôt que d’envisager des alternatives bas carbone massifiables.

Manque de financement dédié aux solutions de ciment alternatives

  • Bien que la Commission recherche de nouvelles sources de financement et qu’elle propose la création d’une banque de la décarbonation industrielle (Industrial Decarbonisation Bank), rien ne permet de confirmer que les technologies cimentières alternatives et les substituts au clinker seront soutenus.
  • Les futurs mécanismes de financement doivent encourager les précurseurs et les pionniers de la production durable, pas uniquement la décarbonation des sites et installations existantes. 
  • Solution : promouvoir des mécanismes explicites de financement des technologies bas clinker et le développement des projets spécifiques au travers de programmes de financement de l’UE.

La priorité n’est pas donnée aux standards de performance

  • Le Pacte d’Accélération de la Décarbonisation Industrielle, Industrial Decarbonisation Accelerator Act, qui sera rendu public dans le courant de l’année, doit soutenir plusieurs stratégies de décarbonation. Reconnaître les formulations alternatives au clinker, domaine où l’Europe a déjà le leadership technologique, garantira que ces technologies puissent bénéficier d’approbations réglementaires et de subventions. 
  • Solution : adopter une approche plurielle pour garantir que toutes les solutions viables soient soutenues.

Les marchés publics doivent privilégier les standards de performance en matière de CO₂

  • L’UE va réviser le cadre européen des marchés publics (2026) afin d’y intégrer des critères de durabilité et de résilience. S’il est prévu d’élargir les critères pour promouvoir les achats auprès des secteurs privés, via des mesures telles que les normes de performance des émissions de CO2 sur tout le cycle de vie, à ce stade il n’y est pas fait explicitement mention des critères CO₂ du ciment.
  • L’alignement des critères des commandes publiques et du RPC (Règlement Produits de Construction) révisé assurerait une cohérence réglementaire et allègerait la charge administrative pour les acheteurs publics, en établissant que les produits RCP sont effectivement éligibles aux contrats publics. Cette approche éliminerait les doublons et la nécessité de cadres nationaux distincts.
  • De plus, une telle approche harmonisée garantit que les investissements réalisés par les producteurs de ciment bas carbone sont soutenus par une forte demande du marché, soutenue par les politiques publiques.  Les producteurs les plus innovants pourront alors capitaliser sur leurs avancées technologiques.
  • Solution : introduire des seuils CO₂ dans toute l’Union Européenne pour les marchés publics afin de promouvoir les achats de ciment à faible teneur en clinker.

Conclusions : il est impératif que le ciment soit pleinement intégré à la politique de décarbonation de l’Union Européenne

Le pacte industriel propre, le ‘’Clean Industrial Deal’’, pose un cadre important et attendu, mais il y manque des mesures spécifiques au secteur du ciment, une industrie pourtant clé en Europe. L’Europe dispose déjà de la technologie capable de réduire de 70% les émissions de CO2 de l’industrie cimentière. Pourtant, les politiques restent en retard par rapport aux progrès technologiques.

Le Royaume-Uni et les États-Unis ont pris des décisions fortes en matière de normalisation et de création de marchés, tandis que l’UE continue de dépendre de politiques axées sur les technologies CCUS plutôt que de s’intéresser à des solutions pourtant disponibles.

Pour maintenir son leadership en matière d’innovation industrielle propre, l’Union Européenne doit aller au-delà des politiques cloisonnées et veiller à ce que les solutions de ciment bas carbone reçoivent les soutiens financiers et réglementaires dont elles ont besoin pour se développer.

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